Les Nanotechnologies - Etude de 2004 - Peur sa fait peur !!!!!

Les nanotechnologies suscitent déjà des inquiétudes

 

LE MONDE | 29.04.04 | 13h18

 

Les nanosciences promettent la miniaturisation de l'électronique, des médicaments plus ciblés, des robots autonomes... Avant même leur apparition, certaines voix affirment que ces nouveaux objets invisibles seront source de dangers.

Le débat ne dépassait guère un cercle d'initiés lorsque le prince Charles s'en est mêlé. Il y a un an, il a mis en garde ses concitoyens envers les "énormes risques environnementaux et sociaux" liés aux nanotechnologies, ces techniques de manipulation de la matière à l'échelle du milliardième de mètre. La prise de position princière a été quasi concomitante de la sortie du dernier best-seller de Michael Crichton, La Proie, Ed. Robert Laffont, 2003. Le roman mettait en scène la "gelée grise", des essaims de nanorobots capables de s'autorépliquer, échappant à leurs créateurs et menaçant de coloniser la planète.

La vision du prince Charles comme celle de l'auteur de science-fiction se sont appuyées sur le rapport d'une organisation non gouvernementale, l'ETC group (action group on Erosion, Technology and concentration) basé à Ottawa, intitulé "The Big Down" et passant en revue les risques liés à l'utilisation incontrôlée des nanotechnologies. Le document faisait lui-même référence à un ouvrage prospectif du physicien Eric Drexler, Engines of creation (Les engins créateurs, www.foresight.org/EOC), publié en 1986, et qui spéculait sur la mise au point de robots fabriqués à une échelle moléculaire et capables de s'autoreproduire.

Les projections de M. Drexler sont encore loin d'être devenues réalité. Certes, les scientifiques parviennent désormais à manipuler la matière atome par atome, à l'assembler en structures rudimentaires, à singer certains moteurs moléculaires biologiques. Les nanosciences ont fait des progrès considérables à la frontière entre physique, chimie et biologie. Mais, pour Louis Laurent, du Département de recherche sur l'état condensé, les atomes et les molécules du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), il n'y a aucun risque, à moyen terme, "que quelque chose, dans nos labos, nous saute à la figure !"

"DONNÉES ALARMANTES"

Si les dangers liés à cette "gelée grise" autoréplicante lui semblent hypothétiques, il prend plus au sérieux ceux qui menacent la vie privée, à travers l'émergence de technologies implantables, ou la miniaturisation des systèmes de surveillance. En ce qui concerne les questions de toxicité, il considère que ce problème n'est "pas spécifique des nanotechnologies".

Ces derniers mois, pourtant, une série d'articles scientifiques a montré que les nanomatériaux n'étaient pas si anodins. En janvier, le journal Toxicological Sciences a ainsi publié deux études mettant en évidence l'impact de fibres de nanotubes de carbone - un matériau jusqu'à 100 fois plus résistant que l'acier - sur les poumons de rats. A Houston, l'équipe de Chiu-Wing Lam (NASA) avait injecté trois types de nanotubes dans l'arbre bronchique de rats. Trois mois plus tard, ceux-ci souffraient de granulomas, des réactions inflammatoires susceptibles de dégénérer.

Les toxicologues américains estiment que les nanotubes "peuvent être plus toxiques que le quartz", un matériau susceptible de causer de sérieux problèmes de santé en cas d'exposition prolongée. David Warheit, chercheur chez l'industriel DuPont, a constaté que 15 % des rats exposés aux plus hautes doses mouraient dans les 24 heures. Les lésions observées chez les survivants étaient atypiques.

Dominique Lison, directeur de l'Unité de toxicologie industrielle de l'université catholique de Louvain (Belgique), a fait les mêmes observations dans son laboratoire. "Si de telles particules sont réellement capables de parvenir jusqu'aux poumons, les données dont nous disposons sont alarmantes", indique-t-il, précisant que le protocole expérimental - injection directe dans les poumons - n'est pas forcément représentatif des conditions réelles. Pour lui, tout reste à faire dans ce domaine, à commencer par des études par inhalation "plus réalistes", mais aussi l'analyse du potentiel cancérogène de ces composants, de leur réactivité chimique et mécanique.

LE PRÉCÉDENT DES OGM

L'impact sur l'environnement de tels composés commence tout juste à être étudié. Eva Oberdorster, de l'université méthodiste du Sud, à Dallas (Etats-Unis), a tenté de mesurer l'effet sur des organismes aquatiques des fullerènes, des molécules cages sphériques constituées de 60 atomes de carbone, dont certains espèrent faire des transporteurs ciblés de médicament. Le premier test concernait les daphnies, des petits crustacées, dont la moitié mourait au terme de trois semaines d'exposition à des concentrations de 800 parties par milliard (ppb).

Chez les perches juvéniles, la chercheuse a observé une multiplication par 17 d'anomalies cellulaires dans des échantillons de tissu cérébral. D'autres laboratoires ont constaté le passage de nanoparticules d'or des rates vers leurs fœtus ou encore du nez jusqu'à l'intérieur du bulbe olfactif.

En France, ce type d'étude est encore rare. "Les résultats sont actuellement chaotiques, contradictoires", prévient Patrick Bernier, du groupe de dynamique des phases condensées, à Montpellier. L'étude menée depuis cinq ans dans son laboratoire, sur des cultures de cellules, n'a pas permis de mettre en évidence des phénomènes inflammatoires. Mais la grande variété des produits et des protocoles expérimentaux ne facilite pas les comparaisons.

"C'est un secteur émergent où le volet santé est un peu le parent pauvre, confirme Olivier Witschger, de l'Institut national de recherche et de sécurité, à Nancy. Bien souvent, le caractère innovant de ces matériaux est lié à leur très grande réactivité de surface. Il est donc légitime de s'interroger sur leurs effets." Le chercheur s'intéresse aux questions d'exposition par inhalation des nanopoudres, mais a tout juste commencé à approcher les industriels.

Nanoledge, une start-up de Montpellier qui produit une centaine de grammes de nanotubes de carbone par semaine, assure appliquer le principe de précaution. "Nous utilisons des combinaisons spéciales et nous intégrons rapidement les nanotubes dans des matrices pour éviter que la poudre ne se disperse", explique Julien Roux, responsable commercial de cette société d'une dizaine de personnes. "Aucune société ne se risquera à produire des quantités industrielles avant que des normes précises ne soient édictées", assure-t-il. Pour l'heure, les utilisateurs - pour 60 % des universitaires - sont avertis que l'impact sur la santé de ces produits est à l'étude.

Les questions de réglementation planent sur toute une filière, dont les perspectives d'expansion économiques sont régulièrement mesurées en milliards de dollars. Tous les acteurs ont en mémoire le précédent des OGM, prototype du "progrès" qui a suscité le rejet d'une partie des consommateurs. Echaudé par cette expérience, le gouvernement britannique, après les déclarations du prince Charles, a demandé à la Royal Society de peser les bénéfices et problèmes potentiels liés au développement des nanotechnologies. L'étude est en cours.

Hervé Morin


A Grenoble, des "objecteurs de conscience"

A Grenoble, l'engagement des acteurs industriels dans les micro et nanotechnologies, conduit avec l'aide massive des collectivités locales, rencontre l'opposition de "simples citoyens" qui ont choisi de rester anonymes pour, disent-ils, éviter de "personnaliser" leurs prises de position et de se constituer en "énième autorité". Ils s'expriment par voie de textes bien documentés, diffusés lors d'événements (inaugurations, congrès) et archivés sur leur site Internet, symboliquement baptisé "Pièces et main-d'œuvre" (http://pmo.erreur404.org/PMOtotale.htm). Leur démarche, qu'ils qualifient de "bricolage", a consisté, depuis trois ans, à recueillir et à recouper les informations publiées sur les technologies convergentes (nano et biotechnologies, informatique, robotique, sciences cognitives). Se définissant comme des "objecteurs de conScience", "anticroissance", en opposition aux scientifiques qui "croient résoudre des problèmes politiques par des réponses techniques", ils protestent contre "l'automatisation du cheptel humain" et fustigent l'impact sur l'environnement des "nécrotechnologies".

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 30.04.04

 

Copyriht intégral sur le texte, source « Le Monde »

 



11/04/2009
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