Les Tournantes - pour moi c'est du viol collectif !!!!!!!!!

Les tournantes : entre fantasmes et réalité

Interview de Laurent Mucchielli
Directeur du centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (cedisp)

En 2001, la France découvre les "tournantes" commises par des jeunes de banlieue. Mais le phénomène des viols collectifs est-il nouveau ? Ces crimes sont-ils réellement en augmentation ?… Au terme d'une contre-enquête, le sociologue Laurent Mucchielli dénonce les dérives d'un phénomène médiatique.

Doctissimo : L'émergence du terme "tournantes" est selon vous un phénomène médiatique.

Laurent Mucchielli : On peut rendre compte de l'émergence médiatique des tournantes en étudiant l'évolution des dépêches de l'Agence France Presse (source majeure de l'ensemble des autres médias français). Entre 1990 et 2000, les viols collectifs n'avaient pas occasionné plus de quatre titres de dépêches par an. En 2001, les viols collectifs ainsi que la nouvelle expression "tournantes" apparaissent à 50 reprises avec un discours mettant systématiquement en scène les "jeunes des cités", "issus de l'immigration". Dès 2003, le nombre de dépêches tombe à 23 pour quasiment disparaître en 2004. Ceci indique bien qu'il y a une logique d'emballement médiatique qui n'a pas de rapport direct avec la réalité sociale car les viols collectifs existaient avant 2001 et continuent à exister après 2003.

Doctissimo : Mais ce discours médiatique ne traduit-il pas une réalité alarmante ?

Laurent Mucchielli : Le problème est que cette réalité échappe largement au discours médiatique, qui ne s'est pas donné la peine de s'informer sur l'histoire, les statistiques, la diversité des affaires traitées par la justice. Cet incendie médiatique intervient en pleine campagne électorale centrée sur le thème de l'insécurité, des violences urbaines, la peur de l'Islam et les violences faites aux femmes. L'intérêt des médias pour ce dernier thème repose sur le film "la Squale", sur le livre "Dans l'enfer des tournantes" et sur la création du mouvement "Ni putes ni soumises". S'ouvrant sur une scène de viol collectif, le film est censé refléter la réalité quotidienne des banlieues, ce qui est contestable. Biographie terrible de viols collectifs perpétrés dans les années 1980, le livre de Samira Bellil devient le symbole de l'oppression des femmes par l'Islam, alors qu'aucune référence à cette religion n'y est faite. Mais ces déformations de la réalité n'empêchent pas les médias de construire leur scénario d'une augmentation soudaine et faramineuse des viols collectifs perpétrés par des jeunes issus de l'immigration.

Doctissimo : Mais face à la loi du silence, comment appréhender l'ampleur de ces viols collectifs ?

Laurent Mucchielli : Je montre d'abord que les viols collectifs ne sont absolument pas nouveaux. Ils avaient déjà été l'objet d'un emballement médiatique autour des "blousons noirs" à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Les viols collectifs ne s'appelaient pas "tournantes" dans l'argot populaire de l'époque mais "barlus" à Lyon, "rodéos" à Toulouse ou "complots" à Bordeaux. Ensuite, les seules statistiques disponibles sur les viols collectifs (les statistiques judiciaires) indiquent que leur fréquence n'a pas particulièrement augmenté depuis vingt ans. Enfin, les enquêtes auprès des victimes confirment que le phénomène est rarissime et qu'il ne semble pas en augmentation. Après ça, quelle en est l'ampleur réelle ? Personne n'en sait rien. Mais en tous cas je montre qu'on ne peut pas dire qu'il y a augmentation.

Doctissimo : Quels comportements se cachent derrière ces viols collectifs ?

Laurent Mucchielli : Tout d'abord, ces viols collectifs ne représentent pas une seule réalité mais plusieurs phénomènes différents. Bien que ne pouvant prétendre à l'exhaustivité, l'étude de 25 dossiers de la région parisienne permet de souligner que derrière ces viols collectifs se cachent des processus psychosociaux très divers et parfois mêlés : un rapport personnel pathologique du violeur aux femmes, une domination violente quotidienne d'un plus faible au sein d'un groupe fermé (squat, prisons…), un type ritualisé de violences sexuelles collectives (bizutage…) ou l'affirmation collective d'une virilité. Ce dernier cas correspond en partie à la représentation médiatique des tournantes (violeurs jeunes, de quartiers pauvres, issus de l'immigration…). Dans ce cas, le viol collectif remplit une fonction d'initiation sexuelle et d'affirmation masculine virile pour les individus qui le composent. Dans le cas des bandes proprement dites, il est aussi un événement catalyseur pour le groupe qui peut éprouver à cette occasion sa cohésion voire sa hiérarchie interne. Mais ce même ressort peut se rencontrer dans les milieux sociaux les plus variés. J'ai rappelé par exemple des affaires impliquant des policiers sur des prostituées.

Doctissimo : Entre les années 1960 et maintenant, quelles sont les différences et les traits communs de ces viols collectifs ? Et malgré la diversité de ces situations, comment expliquer l'impression que ces tournantes sont uniquement le fait de jeunes de banlieue ?

Laurent Mucchielli : Outre le contexte médiatique et politique déjà abordé (peur de l'Islam, médiatisation de l'insécurité, émergence de mouvements associatifs issus des banlieues), ces comportements sont assez similaires à ce qui se passait dans les années 1960 avec les blousons noirs. On pourrait dire que la principale différence entre ces deux époques est la couleur de peau. Mais sans lien avec leur origine ou leur religion, la sur-représentation des jeunes Français issus de l'immigration parmi les personnes condamnées pour viols collectifs est une simple conséquence de leur position sociale, de leur trajectoire scolaire et de leur lieu de résidence. Grosso modo, les mêmes causes produisent les mêmes effets, quelles que soient les époques et les populations.

Doctissimo : Pourtant, certains mouvements associatifs comme "Ni putes ni Soumises" dénoncent une augmentation des violences faites aux femmes. Vous êtes critique vis-à-vis de ce mouvement…

Laurent Mucchielli : La dénonciation des violences faites aux femmes est une très bonne chose et l'on ne peut que s'en féliciter. Grâce à ce travail, de plus en plus de victimes oseront briser le mur du silence et le nombre de déclarations de viols devrait augmenter dans les années qui viennent. Mais ce que je critique fortement, c'est cette façon de criminaliser tous les jeunes garçons arabes de banlieue en faisant en permanence l'amalgame entre des choses aussi différentes que le patriarcat, le machisme, les mariages forcés, les comportements violents envers les femmes et les enfants, les comportements des bandes délinquantes et enfin la religion musulmane. Ces amalgames révèlent soit un grave déficit d'analyse, soit une stratégie de légitimation médiatique et politique assez cynique. Et au bout du compte, on peut s'interroger sur l'impact pédagogique de ce discours. En se focalisant sur des cas individuels de crimes sordides (Samira Bellil victime de viols collectifs, Sohane brûlée vive par un jeune homme de 19 ans…), quelle image diabolisée le mouvement "Ni putes ni soumises" renvoie aux jeunes garçons de ces cités ? Comment de telles caricatures peuvent-elles aider à comprendre et faire évoluer les rapports hommes/femmes dans ces banlieues ? En quoi cela aide t-il les parents, les enseignants et les travailleurs sociaux à analyser ces rapports hommes/femmes ?

Les tournantes : entre fantasmes et réalité

Interview de Laurent Mucchielli
Directeur du centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (cedisp)

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Doctissimo : Alors comment selon vous, peut-on prévenir la délinquance liée à ces bandes ?

Laurent Mucchielli : On peut schématiquement agir à trois niveaux.

- Au niveau des auteurs en prévenant leur entrée dans ces bandes. Pour cela, il faut lutter contre l'échec scolaire et contre le chômage de masse qui touchent en priorité ces jeunes. Sans diplôme, issus des cités et victimes de délit de faciès, leur taux de chômage atteint souvent 50 % ;

- Au niveau des victimes. On sait qu'elles ne sont pas "choisies" au hasard mais les filles en danger présentent certains traits communs : une certaine fragilité psychologique, des problèmes familiaux, un isolement relatif, souvent des fugues, qui les poussent à rechercher une intégration dans des bandes de jeunes souvent plus âgés et connus pour être des mauvais garçons.

- Au niveau des situations à risque. Certains lieux (sortie de boîtes de nuit, de bal ou de concert) et événements qui leur sont liés (alcoolisme…) peuvent favoriser les passages à l'acte et les états de faiblesse. Des garants pas seulement de type policiers pourraient exercer sur le terrain une surveillance et porter secours en cas de besoin.

Propos recueillis par David Bême, le 26 avril 2005

1 – Le scandale des "tournantes" - Laurent Mucchielli, éditions La Découverte
2 – "Trois questions à Fadela Amara, présidente de Ni putes ni soumises" - Le Monde du 25 avril 2005

Le scandale des "tournantes" de Laurent Mucchielli - éditions La Découverte – 124 pages – 6,40 €

 

* Tous droits réservés pour l'auteur du texte *

 

 



27/03/2008
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